C’est un procès hors norme qui s’ouvrira le 13 avril 2018 à Kalehe, en République démocratique du Congo (RDC). 10 ans après, 100 victimes des pires atrocités ont l’espoir d’obtenir justice avec le procès du chef de milice qui a régné en maître sur leur région pendant des mois. « Marocain » (c’est son nom de guerre) est notamment accusé d’esclavage sexuel, un crime peu poursuivi malgré son utilisation massive par les groupes armés de l’est de la RDC. Deux ans d’enquêtes, auxquelles TRIAL International a apporté son expertise, ont été nécessaires à l’ouverture du procès : un tournant important dans la reconnaissance de ce mal invisible.
Résumé de l’affaire
Le territoire de Kalehe est tristement connu pour son instabilité. Milices Mai-Mai et
armée congolaise s’y affrontent sans répit, et le contrôle effectif de la région fluctue
au gré de ces combats. Otages impuissants, les civils sont à la merci du vainqueur.
C’est ainsi que, de 2005 à 2007, une milice particulièrement cruelle a persécuté des
centaines de villageois en toute impunité. Lors de ces attaques, les hommes étaient
tués sur place ou faits prisonniers pour transporter les biens pillés, et les femmes et
les filles étaient gardées comme esclaves sexuelles.
La milice a finalement été vaincue en 2007 et ses commandants, dits « Colonel
106 » et « Marocain », ont été arrêtés. Le premier a déjà été condamné à perpétuité.
C’est à présent au tour de Marocain de faire face à ses actes. Un procès complexe, sous haute tension
La simple ouverture d’un procès est une victoire pour les victimes, mais celui-ci
présente d’indéniables complexités.
D’une part, la situation sécuritaire reste très volatile : si la milice de Marocain a été
anéantie, de nombreux autres groupes armés continuent de sévir dans la région. Les
victimes et les témoins sont particulièrement menacés.
D’autre part, l’ampleur et la gravité des crimes est hors du commun : des centaines
de victimes ont été recensées, les attaques se sont déroulées sur un territoire vaste
et difficile d’accès… sans parler des tabous liés aux crimes de violences sexuelles,
qui inhibent les victimes et les exposent à d’innombrables stigmas.
Du fait de la complexité de l’affaire, les enquêtes initiales étaient incomplètes et
n’offraient qu’une image partielle des crimes allégués de Marocain. La documentation des violences sexuelles, notamment, n’était que très peu développée.
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A l’invitation de ses partenaires en RDC, TRIAL International a apporté son expertise
juridique au dossier : l’organisation a collaboré étroitement avec les ONG locales, les
victimes et leurs avocats pour documenter les crimes (collecte de preuves et de
témoignages, examens médicaux complémentaires) relatifs aux attaques impliquant
le Commandant Marocain, permettant ainsi de construire une stratégie juridique
solide. Un jalon dans la lutte contre l’impunité
Dix ans après les crimes subis, les victimes voient enfin un espoir d’obtenir justice.
Sur cette ligne de front entre l’armée et les milices rebelles, le symbole est d’autant
plus fort.
Le procès de Marocain est aussi l’occasion pour les autorités de montrer leur
engagement contre les crimes de masse, même lorsque les faits sont datés et les
accusés puissants. Il en va à présent de leur crédibilité que les audiences se
déroulent dans de bonnes conditions, dans le respect des droits et de la dignité de
toutes les parties.
L’affaire Marocain en 5 questions De quoi est accusé Marocain ?
Marocain est poursuivi pour crimes contre l’humanité par viol, emprisonnement, et
autres actes inhumains de caractère analogue ; ainsi que pour crimes de guerre par
esclavage sexuel, pillage, attaque contre la population civile et contre des bâtiments
consacrés à la religion. Il est également poursuivi pour participation à un mouvement
insurrectionnel.
Sa responsabilité pénale est engagée comme auteur direct pour avoir commis
individuellement, conjointement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, les crimes
cités ci-dessus. En effet, une cinquantaine de victimes et témoins ont rapporté des
exactions l’incriminant personnellement ainsi que des miliciens agissant sous son
commandement. Quel est le lien entre l’affaire Marocain et celle du Colonel 106 ?
Marocain était le bras droit du Colonel 106. Leur milice attaquait souvent deux
villages simultanément, l’un sous le commandement du Colonel 106, l’autre sous le
commandement de Marocain.
Le Colonel 106 a été condamné à perpétuité en 2014. Ce verdict constitue un
précédent important puisqu’il représente l’une des rares condamnations pour
esclavage sexuel comme crime contre l’humanité en RDC, malgré l’utilisation
généralisée de cette pratique par les groupes armés.
Le procès de Marocain intervient dans la continuité de ce premier procès, puisqu’il
porte sur des faits analogues et reprend les mêmes chefs d’accusation.
3 Pourquoi le procès s’ouvre-t-il maintenant, 10 ans après les faits ?
Marocain n’a été arrêté qu’en août 2014. Il a été interrogé immédiatement et a avoué
sa participation à certaines attaques dès sa première audition.
Mais la première mission d’enquête sur le terrain n’a été menée qu’en 2016. Dans le
cadre d’un dossier de crime de masse de cette ampleur, les ressources nécessaires
pour mener à bien une enquête efficace et complète sont importantes (expertise
juridique sur les crimes de masse, ressources humaines, financières et matérielles
pour mener une enquête sur le terrain, dans des situations sécuritaires instables).
Une deuxième mission d’enquête a été nécessaire, permettant de récolter des
preuves et des témoignages incriminant Marocain directement.
Après cela, les autorités ont agi avec célérité : audition des victimes prioritaires et
des témoins clés, confrontations avec le prévenu ; tests médicaux
complémentaires…
Le procès en audiences foraines, initialement prévu pour 2017, a été retardé dû à un
contexte sécuritaire très instable dans la région de Bunyakiri. Quel a été le rôle de TRIAL International ?
TRIAL est intervenu à plusieurs étapes de la procédure :
· Documentation : participation aux missions de documentation, coaching des
avocats en charge de la collecte de preuve, financement de tests ADN et
médicaux complémentaires.
· Accompagnement des victimes : recensement des victimes, information et
coaching des ONG locales, assistance juridique gratuite via le biais des
avocats du collectif.
· Stratégie juridique : soutien et coaching continu aux avocats du collectif des
victimes, expertise technique dans l’analyse des preuves ; mise en place de la
stratégie juridique. Pourquoi ce procès est-il important pour la justice en RDC ?
D’une manière générale, les violences sexuelles sont sous-représentées dans les
procédures pénales en RDC en raison de leur complexité et des stigmas qui y sont
associés. La jurisprudence sur l’esclavage sexuel, en particulier, est embryonnaire.
La création d’un précédent, surtout en corrélation avec la condamnation du Colonel
106 pour des faits similaires, faciliterait la poursuite future de ce crime trop souvent
tu.
C’est aussi l’occasion pour les autorités congolaises d’approfondir leurs
compétences sur des dossiers de crimes de masse, souvent très complexes.